Islande : réchauffement démocratique ?
L’île exemplaire
Islande. A lui seul, le nom éveille les désirs extatiques des adeptes de voyages au bout du monde, au moins autant quʼil contrarie les songes des pilotes de ligne en raison des soubresauts imprévisibles de ses volcans. Il arrive aussi que lʼîle fasse parler dʼelle pour ses pratiques démocratiques. Ainsi, lʼeffondrement de son système financier en 2008 a largement contribué au renouvellement de la classe politique du petit Etat de 320.000 âmes. Il a ensuite conduit une commission (la SIC) à examiner avec grand intérêt les pratiques pour le moins douteuses de ses élites financières, politiques et médiatiques, et permis à un Procureur Spécial dʼenquêter et de poursuivre quelques dizaines de fraudeurs présumés (1). Il a enfin contribué à une révision constitutionnelle menée tambour battant par une Assemblée Constituante de 25 «citoyens ordinaires».La fumerolle qui cache le geyser ?
Islande. Islande volcanique ! Islande apocalyptique ! Islande erratique ! Mais Islande héroïque, puisque unanimement reconnue pour ses velléités libertaires. Doit-on douter de cette présentation élogieuse digne dʼun poème scaldique ? Se pourrait-il que certains nʼaient vu dans ce tableau idyllique que la surface immergée dʼun iceberg
? Lʼélection présidentielle de lʼété dernier offre une base de réflexion intéressante, même sʼil convient dʼemblée de préciser quʼelle ne permet pas à elle seule de réfuter lʼactuelle grille de lecture. Le scrutin opposait 6 candidats, parmi lesquels Olafur Ragnar Grimsson candidat heureux à sa ré-ré-ré-ré-ré-élection. En Islande, le Président nʼa pas vocation à sʼimpliquer dans la vie politique. Nʼétait lʼArticle 26 de lʼactuelle Constitution, qui lui accorde le droit de ne pas ratifier un projet de loi du Parlement, il ne serait même quʼun «roi sans couronne». Le détenteur dʼune mission honorifique et symbolique de représentation qui confine au superfétatoire. A trois reprises pourtant (6), le taquin Olafur a usé de ce droit et déclenché à chaque fois des réactions dont lʼintensité peut être comparée aux séismes volcaniques qui touchent parfois lʼîle. Dʼaucuns ont vu dans cette victoire le fruit de son indéniable expérience de la fonction, de son charisme, voire de son sens avéré de la stratégie politique. Tout porte à croire quʼils ont raison. Car hormis lʼabsence de qualités comparables chez les autres candidats, rien nʼincline véritablement à penser que dʼautres facteurs ont pu favoriser cette ré-élection. Et ce en dépit dʼun contexte historique emprunt de pratiques claniques et partisanes qui tranche avec la perception quʼen ont les observateurs extérieurs.Financement électoral : des règles claires, et pourtant…
Plafonnement des dons, déclaration dʼorigine des fonds perçus, tenue dʼune comptabilité rigoureuse… En Islande, les règles de financement des partis et des campagnes des candidats sont précisément définies par la législation depuis 2006 (7). Il aura toutefois fallu la persévérante insistance du Groupe dʼEtats contre la corruption (8) pour que le comité en charge de ces questions à Reykjavik daigne sʼintéresser au sujet. Une
tardive prise en compte que Thorvaldur Gylfason (9), économiste réputé et membre de lʼAssemblée ayant planché sur la nouvelle Constitution, impute à la réticence de certaines personnalités politiques. Ces joyeux lurons nʼont pas vu dʼun oeil guilleret la remise en cause de leurs discrètes pratiques. Et Thorvaldur de citer lʼexemple de ce généreux pactole de 55 millions de couronnes (10) octroyé au Parti de lʼIndépendance (11) par Landsbanki et FL Group (Baugur) juste avant que la loi ne soit promulguée. A lʼépoque, Kjartan Gunnarsson cumulait des fonctions qui confère à lʼexpression «être juge et partie» un sens Nordique inédit qui prêterait à se gausser sʼil nʼétait si passablement pitoyable : vice-président du Comité mandaté pour rédiger le texte de loi, chargé du financement du Parti de lʼIndépendance et vice-président du Conseil dʼAdministration de Landsbanki. Aujourdʼhui encore, Thorvaldur Gylfason lʼaffirme, il demeure parfois difficile dʼéradiquer ces vieilles habitudes dignes des processus en cours chez la Papous et de faire exécuter cette réglementation. «Cʼest la raison pour laquelle il existe une clause spécifique dans le projet de nouvelle Constitution» ajoute-t-il (12).S. Valentinus Vagnsson, anti-européen convaincu et admirateur inconditionnel dʼOlafur Ragnar Grimsson, nʼhésite pas à qualifier le système de «mafieux». Ce très actif septuagénaire a durant quelques semaines laissé planer lʼhypothèse dʼune participation à lʼélection Présidentielle afin «de réveiller le peuple Islandais et lui faire comprendre à quel point tout est devenu absurde et corrompu» sur lʼîle.25 millions dʼIKr (13) dépensés par les 6 candidats.
Médias : to be influential or not to be, that is the question !
En lʼespace dʼune douzaine dʼannées, lʼIslande est passée, presse mise à part, dʼun paysage médiatique globalement monopolisé par lʼEtat, lui-même sous la houlette du Parti de lʼIndépendance et de ses alliés, à un système verrouillé par de grosses entreprises et des banques à la tête desquelles évoluent quelques grandes et influentes familles. Lʼépais rapport remis par la SIC en 2010 a clairement établi lʼexistence de liens étroits et fort profitables entre sphères médiatique, politique et financière. Outre quelques menus larcins (escroqueries, détournements de fonds, délits dʼinitiés…), ces petits arrangements entre amis pouvaient aller jusquʼà des menaces et des intimidations de journalistes trop curieux. Dans les années et les mois qui ont précédé la crise de 2008, la situation financière de lʼîle telle que dépeinte par certains médias autochtones tenait plus dʼun budget prévisionnel Grec rédigé par Goldman Sachs que dʼun compte de résultats certifié par un Commissaire aux comptes Suisse. Dans la mesure où il nʼa jamais existé de véritable réglementation fixant les conditions dʼun rapport sain entre médias privés et candidats à une élection, la probabilité dʼémousser cette relation incestueuse reste aujourdʼhui encore assez proche des températures de lʼOcéan Arctique. Comme lʼexplique Birgir Gudmundsson (15), il existe «de nombreux domaines (…), tels que lʼindépendance éditoriale, les règles en matière de concentration capitalistique, les subventions des médias… Qui ne sont couverts par aucune législation particulière».
Lʼexemple de David Oddsson (16), acteur motivé de la financiarisation de lʼîle, patron de la Banque Centrale dʼIslande au moment de la crise et devenu en 2009 Rédacteur en Chef du quotidien Morgunbladid, est emblématique du cas Islandais. Cʼest «un peu comme si on avait nommé Richard Nixon à la tête du Washington Post pendant le Watergate» concluait le Monde Diplomatique dans un article de mai 2011(17).
de la dernière élection présidentielle, les médias publics ont plutôt respecté leurs obligations de neutralité et dʼéquité des temps de parole. Thorvaldur Gylfason estime quʼen revanche «il y a eu une certaine discrimination de la part des médias privés à lʼencontre des candidats qui obtenaient de faibles scores dans les sondages». Une tendance relevée à plusieurs reprises par la candidate malheureuse Andrea Olafsdottir dépitée de nʼavoir pu participer aux débats dominicaux de Channel 2, «réservés» aux deux principaux prétendants.Sur son blog, Andrea a aussi contesté la façon dont les médias ont biaisé les chiffres des sondages dʼopinion. En ne tenant par exemple aucunement compte des quelques 30% dʼélecteurs indécis ou qui déclaraient ne pas souhaiter voter, le quotidien Frettabladid a augmenté sensiblement et artificiellement les scores des deux leaders et justifié par la même occasion la «préférence médiatique» qui leur a été accordée. Un procédé qui tendait à donner aux lecteurs lʼidée que la partie allait (devait ?) se jouer uniquement entre Olafur et Thora. Les résultats ont bel et bien montré que cette dernière avait dépassé de près de 25 points Ari Trausti Gudmundsson, arrivé troisième. Et quʼà eux seuls, les quatre derniers candidats nʼavaient obtenu quʼun peu plus de 14% des suffrages. Michel Sallé justifie le procédé par le fait «quʼOlafur et Thora étaient les deux candidats sortant du lot, donc les seuls susceptibles d’intéresser le lectorat (…) Cette campagne présidentielle était la première à être médiatisée ; il y a certainement eu des préférences partisanes, mais il y a aussi eu des erreurs reconnues ensuite».
Sondage : lʼart de faire dire aux chiffres ce que lʼon veut
Jʼai transformé la fonction présidentielle mais les gens doivent comprendre que nous sommes entrés dans une nouvelle époque et que lʼexercice de la magistrature suprême doit être différente de ce quʼelle était dans les années 1950
«Révolution des casseroles», Icesave, Assemblée Constituante… Si elle a pu naguère être abusée par ses élites, une partie non négligeable de la petite nation a récemment prouvé quʼelle pouvait changer le cours de son destin en sʼappropriant le concept de lʼinfluence et en modifiant ses modalités dʼapplication. Cʼest à se demander qui désormais influence qui ? À se demander si lʼinfluence nʼest pas en passe de changer de camps ? Et si les plus grands démocrates en définitive, ne sont pas les Islandais eux-mêmes ?
Enquête publiée dans le Petit Guide de la Transparence électorale.
Cet état des lieux de la démocratie dans le monde vient compléter les 6 épisodes du web-documentaire « L’AUTRE ELECTION », qui décrit les curieux
us et coutumes électoraux de l’une des nations les plus corrompues de la planète : la Papouasie-Nouvelle Guinée.
